mort en état de sainteté
Pierre LE NEVÉ, né à Kerno en Treffléan, le 24 novembre 1673, avait fait ses études au collège des Jésuites à vannes, et avait reçu l’onction sacerdotale le 19 septembre 1699 à Saint-Brieuc. Après avoir travaillé cinq ans aux missions, dans diverses paroisses du diocèse, il devint vicaire à Saint-Patern, et s’attira l’estime de tout le monde par son zèle et sa charité. Prédicateur éloquent, il attirait la foule aux instructions qu’il faisait à l’église, et il appuyait son enseignement par sa vie mortifiée.
Nommé, malgré lui, recteur de Séné par Mgr FAGON, le 12 mars 1721, il transforma cette paroisse en quelques années, et en fit un modèle pour tout le diocèse. Rien ne lui coûtait de ce qu’il croyait propre à la sanctification de son troupeau. Il visitait régulièrement sa paroisse chaque semaine, et distribuait aux pauvres des secours, aux affligés des consolations, et aux malades les sacrements. Il passait en prières la plus grande partie de la nuit, ou reposait assis sur une chaise de paille ; aussi, lorsqu’on venait le cherche pour les malades, il paraissait à l’instant même tout habillé et prêt à partir. Il ne mangeait ni viande, ni poisson, ne buvait que très peu de vin ou de cidre, et se contentait d’une soupe avec quelques légumes communs. Il était détaché de tous les biens d’ici-bas et entièrement mort à lui-même ; aussi répandait-il d’abondantes aumônes dans sa paroisse et jusque dans les faubourgs de Vannes. Son évêque, Mgr Fagon, lui ayant demandé un jour quel était le revenu exact de son bénéfice, il répondit avec une foi vive : « Il vaut autant que votre évêché, Monseigneur ; il me vaut le paradis ou l’enfer. »
En 1749, M. LE NEVÉ, usé par les austérités et la maladie, n’avait point ralenti ses œuvres de zèle ; tout faible qu’il était, il allait encore visiter et consoler ses paroissiens malades ou affligés. Des accidents successifs l’avertissant qu’il approchait de sa fin, il voulut se rendre à l’église, pour recevoir le Saint Viatique en présence de son peuple, et il fit ses adieux si touchants, que tout le monde fondit en larmes. Ses sentiments de pénitences et de componction étaient admirables : ce fut dans ces saintes dispositions qu’après une pénible agonie, il rendit son âme à son Créateur, le 23 novembre 1749, à l’âge de 76 ans, dont il avait passé 29 à Séné. Ses obsèques furent remarquables par l’affluence du peuple qui s’y trouva, et par les honneurs rendus à ses restes mortels. Sa mémoire est encore en bénédiction dans sa paroisse, et on y conserve son portrait peint par Jean Vincent LHERMITAIS, peintre vannetais, et son masque mortuaire.
Il fut inhumé le 25 novembre 1749 dans le cimetière, où sa tombe avait une inscription édifiante : « Ven. et Dis. DD. Petro Le Neue hujusce parochiœ Senensis rectori. Hic jacet Pastor bonus et fidelis, quem sibi fido grege dum regendo totus incumbit nimis effugitata facta tulere. Pauperes patrem, miseri patronum, pastor exemplum populusque lumen, charitas tœdam, pietas hœroem luget adeptum. Natus die 24 9bris. Obiit die 23 9bris 1749 » (« Vénérable et Discret Monsieur Pierre LE NEVÉ, recteur de cette paroisse de Séné. Ci-gît le bon et fidèle Pasteur, qui, tout en dirigeant son fidèle troupeau, s’est entièrement consacré à porter le fardeau de nombreuses choses négligées. Les pauvres pleurent un père, les miséreux un patron, le pasteur un exemple et le peuple une lumière, la charité un flambeau, la piété un héros qu’elle s’était acquise. Né le 24 novembre, il est mort le 23 novembre 1749 »).
En 1872, sa tombe a été transférée dans le nouveau cimetière où est inscrit son nom et celui de de l’abbé François POEZIVARA, recteur de Séné de 1932 à 1956.
Référence :
“Histoire du diocèse de Vannes » du chanoine Joseph-Marie LE MENÉ (1831-1923) édité en 1889 Lien à l’archive en ligne
Cette vie relatée par le chanoine LE MENÉ est un résumé du livre paru en 1838, « Les Vies des saints de Bretagne et des personnes d’une éminente piété », écrit par Dom Guy-Alexis LOBINEAUet revu par M. L’abbé TRESVAUX, dont les informations proviennent de l’« Abrégé de sa Vie », un ouvrage édité à Vannes en 1751, dédié aux recteurs du diocèse de Vannes, sans nom d’auteur, mais d’une plume exercée.
En 1897, dans le calendrier français breton dans lequel on a mentionné tous les saints bretons, il est fêté comme Vénérable, le 23 décembre. Ceci est la conséquence d’une erreur de compréhension de l’épitaphe sur sa tombe. En effet, il était habituel aux XVIIe et XVIIIe siècle de donner le titre « Vénérable et discret » aux recteurs de paroisse ; cela ne correspond alors pas à une étape dans le processus de canonisation.
En 1948, dans l’ouvrage « MARE NOSTRUM », Michel de GALZAIN (1918-1994), en fit un autre résumé que le recteur Joseph LE ROCH reprit dans les bulletins paroissiaux « Le Sinagot » en 1978.
Texte paru en 1838, dans le livre « Les Vies des saints de Bretagne et des personnes d’une éminente piété »
Ce vénérable pasteur, dont la mémoire est encore en bénédiction dans le pays qu’il habité, naquit au hameau de Kerno, paroisse de Treffléan, diocèse de Vannes, le 24 novembre 1673. Il reçut le nom de Pierre au baptême. Ses parents, d’une condition obscure, se faisaient remarquer par leur pitié. Dès sa première jeunesse, M. Le Nevé posséda lui-même ce don précieux ; il y joignait une douceur de caractère qui le rendait agréable à tout le monde. Cette douceur ne tarda pas à lui être utile, car ayant commencé à étudier sous la discipline d’un homme extrêmement sévère, il en supporta toute la dureté avec une patience qui ne se démentit pas un seul instant. Il supplia son père, qui voulait le soustraire à tant de mauvais traitements, de ne pas le retirer de ses études. Placé ensuite au collège de Vannes, tenu alors par les Jésuites, il se montra bientôt le modèle de ses condisciples. Il n’avait jamais aimé les jeux ni les autres amusements de l’enfance, aussi fut-il grave de bonne heure. La prière, le jeûne, l’aumône, la réception fréquente de sacrements et de pieux exercices de religion, occupaient seuls les moments dont il pouvait disposer ; son assiduité à l’étude fut bénie de Dieu et couronnée de grands succès ; il est vrai qu’étudiant par principe de conscience, il s’y livrait avec ardeur. Le zèle qui le brûla toute sa vie, et la charité dont il fut constamment animé, se manifestèrent dès lors en lui ; il allait enseigner les vérités du salut aux pâtres dans la campagne, et soulageait les pauvres avec tant de générosité, qu’il leur donnait quelquefois une partie de ses habits. On remarqua en lui, lorsqu’il commença son cours de théologie, un esprit judicieux, qui le rendait capable de décider avec justesse des cas quelquefois très difficiles. Son attrait l’avait de bonne heure porté vers l’état ecclésiastique, et il se préparait à la réception des saints ordres par une étude opiniâtre et un redoublement de zèle, afin de bien apprendre tout ce qu’un prêtre doit savoir et pratiquer. Il affligeait en outre son corps par diverses austérités, et donnait ses soins à plusieurs enfants dont l’éducation lui était confiée. Cet excès de travail et la contention continuelle de son esprit lui causèrent un échauffement qui se manifesta par une inflammation au visage. S’étant présenté dans cet état à l’examen pour la prêtrise, les vicaires généraux, qui, ne le connaissant pas, le crurent adonné à l’ivrognerie, le refusèrent et lui adressèrent même à ce sujet de vifs reproches. M. Le Nevé, qui avait fortifié leur soupçon par sa timidité et sa parole embarrassée, supporta ce refus mortifiant avec beaucoup de modération. Il fut pleinement justifié par un homme respectable, dont il élevait les enfants ; aussi parvint-il au sacerdoce l’année suivante en 1699.
Les dispositions saintes que le nouveau prêtre avait apportées à l’ordination lui méritèrent une participation abondante de l’esprit de Jésus-Christ. On en eut promptement la preuve en le voyant parcourir, à l’exemple de son divin maître, les bourgs et les villages pour y annoncer le royaume de Dieu. Ce fut dans les missions diocésaines qu’il commença l’exercice du saint ministère et qu’il acquit cette réputation de vertu éminente qui le rendit dès lors si vénérable aux peuples, qu’on venait de très loin pour l’entendre et pour se confesser à lui. Sa douceur achevait de gagner ceux qu’il avait touchés par sa prédication ; mais cette affabilité ne diminuait en rien son zèle, et il en donna une preuve convaincante pendant un carême qu’il prêcha à Plouhinec ; ses sermons étaient si pleins de forces et d’onction, que toute cette paroisse changea de face. La même ardeur pour le salut des âmes le suivit à Saint-Patern de vannes, dont il devint vicaire après cinq années de prêtrise. Cette paroisse, étendue et populeuse, ouvrait un vaste champ à son zèle ; il n’en fut nullement effrayé. Il se livra avec ardeur au travail, et surtout à celui du confessionnal, et s’acquittait si parfaitement de chacune de ses fonctions, qu’il semblait n’en avoir point d’autre à remplir. Les besoins des pauvres le touchaient vivement et il s’oubliait entièrement pour eux. En voici un trait entre plusieurs autres : un jour, un pauvre mendiant se présenta comme il était prêt à manger sa soupe ; il la lui donna et en fit préparer une autre ; à peine la lui avait-on servie, qu’un second pauvre survint, il la lui fit porter d’aussi bon cœur, et ainsi successivement jusqu’à onze fois, sans qu’il en témoignât la moindre émotion.
Cette charité si compatissante que M. Le Nevé avait pour tous les malheureux allait quelquefois jusqu’à l’héroïsme. Ce fut ainsi qu’il prit soin d’une pauvre femme infirme, du Menemeur, près de Vannes, laquelle était dans un état si rebutant, que presque personne n’osait en approcher. La misère et la puanteur de la chaumière ne purent en éloigner ce digne prêtre, dès qu’il eut été averti du déplorable état dans lequel se trouvait celle qui l’habitait. Empressé de la voir, il approché d’elle comme il l’eût fait de Jésus-Christ même ; il la soulagea, la consola, et, pendant quatre ans qu’elle vécut encore, il ne cessa de la visiter assidument et de lui rendre tous les services dont elle avait besoin, même les plus humble et les plus pénibles.
Les pauvres honteux étaient surtout l’objet de sa sollicitude, et il faisait subsister des familles entières par les aumônes qu’il leur distribuait. Après avoir employé tout ce qu’il possédait, il prenait quelquefois des vêtements de sa sœur pour les donner aux indigents. Lorsqu’elle s’en plaignait, il lui disait pour toute réponse : « Ma sœur, les pauvres souffrent, et vous avez de tout en abondance. » Son père lui ayant une fois envoyé de la monnaie de cuivre pour qu’il l’échangeât contre de l’argent, n’en reçu rien, et, lorsqu’il lui demanda sa somme, M. Le Nevé lui dit : « Mon père, consolez-vous ; je vous ai fait un trésor dans le ciel, et une échelle pour y monter ; je l’y ai fait passer en votre nom par les mains des pauvres. »
Quelque grande que fût l’affection du serviteur de Dieu pour les pauvres, elle ne l’empêchait pas de s’occuper avec soin de toutes les autres parties de son ministère. Prédicateur éloquent, il attirait la foule aux instructions qu’il faisait chaque jour dans l’église de Saint-Patern. Là, sans écouter aucun respect humain, il censurait les vices, condamnait les abus et s’élevait contre les scandales. Non content de blâmer les pécheurs en général, il les reprenait charitablement en particulier. Quelque pur que fût son zèle et quelques prudentes que fussent ses remontrances, il n’en irrita pas moins quelquefois ceux qui en étaient l’objet. Un soir, plusieurs mauvais sujets allèrent le chercher sous prétexte de lui faire administrer un malade, et, profitant de l’obscurité, ils se jetèrent sur lui et le maltraitèrent ; non-seulement il ne s’en plaignit pas, mais il éluda toujours de répondre aux questions qu’on lui fit touchant cet évènement.
Depuis plus de douze ans M. Le Nevé édifiait la paroisse de Saint-Patern, lorsque M. Fagon, évêque de Vannes, le nomma à la cure de Séné, paroisse assez considérable et distante d’une lieue de la ville épiscopale. Tout le monde applaudit à ce choix, à l’exception du saint prêtre lui-même, qui ne consentit qu’avec beaucoup de peine à se charger de ce fardeau. Il fallut que son évêque le lui commandât expressément, pour qu’il se déterminât à accepter. Cependant personne n’était plus digne que lui de la charge pastorale ; mais les amis de Dieu se croient d’autant moins faits pour les dignités et les honneurs, qu’ils sont plus avancés dans les voies de la perfection. On vit sans tarder combien le nouveau recteur était capable de bien gouverner une paroisse. La sienne était en grande partie composée de matelots et de pêcheurs ; c’étaient des gens grossiers et assez difficiles à conduire ; cependant il mit tant de prudence, de patience et de douceur dans ses relations avec ses paroissiens, qu’il réussit à en faire un peuple édifiant et digne de servir aux autres de modèle. Rien ne lui coûtait de ce qu’il croyait propre à contribuer à la sanctification de son troupeau. Tous les habitants de Séné pouvaient compter chaque semaine régulièrement sur sa visite, accompagnée de mille traits d’attention. Il entrait dans leurs divers besoins, était sensible à toutes leurs peines, les soulageait dans leurs maux et les consolait dans leurs afflictions. Il leur inspirait tant de respect et de confiance, qu’ils le prenaient pour l’arbitre de leurs différends et qu’ils le regardaient comme leur père. M. Le Nevé méritait à bon droit ce titre par sa tendre sollicitude. Non-seulement il s’occupait de leurs besoins spirituels, mais rien de ce qui regardait leurs intérêts temporels ne lui était étranger. Lorsqu’on établit des salines à Séné, il s’en affligeait, à cause de l’embarras que devraient avoir les pauvres gens, pour trouver à l’avenir un lieu propre à faire paître leurs bestiaux. Comme on voulut lui faire entendre que ces salines augmenteraient les revenus de la cure : « Beau profit, vraiment, répondit-il ; on donne à ceux qui en ont, et l’on ôte à ceux qui n’en n’ont pas. »
Tel était le détachement de ce digne pasteur, qui se refusait le nécessaire pour soulager les pauvres et qui n’estimait les biens de la terre qu’autant qu’ils lui fournissaient le moyen de faire les aumônes. Il en répandait d’abondantes, jusque dans les faubourgs de Vannes. Son évêque lui ayant demandé un jour quel était le revenu exact de son bénéfice : « Il vaut autant que votre évêché, monseigneur, répondit-il agréablement ; il vaut le paradis ou l’enfer. » Parole pleine de sens et qui montre combien était grande la vivacité de sa foi. Il comprenait bien que son salut était attaché à celui de son peuple ; aussi ne négligeait-il rien pour assurer autant qu’il dépendait de lui celui de tous ses paroissiens. Faisait-on une levée de matelots à Séné, M. Le Nevé ne les laissait pas partir qu’ils ne se fussent rapprochés des sacrements. Lors d’une descente des Anglais en Bretagne, on crut Sarzeau, lieu voisin de sa paroisse, menacé, et les soldats garde-côtes y accoururent, pour s’opposer à l’exécution des projets qu’on prêtait à l’ennemi ; le zélé pasteur les arrêta au passage, les rassembla dans son église, leur fit une exhortation vive et touchante, les excita à la douleur de leurs péchés, et les renvoya enfin animés de tant de courage, qu’ils étaient prêts à verser leur sang pour leur souverain et la patrie.
Tant d’actes extérieurs de vertu ne pouvaient provenir que d’un cœur entièrement dévoué à Dieu et dévoré du zèle de sa gloire. Tel était en effet M. Le Nevé. Pendant sa longue carrière, il fut entièrement mort à lui-même et d’un détachement prodigieux de toutes les choses d’ici-bas. On ne peut guère porter plus loin que lui la pratique de la mortification ; il ne mangeait ni poisson, ni viande, ne buvait que très-peu ou point de vin, ne prenait son repas que tard dans la journée, et se contentait d’une soupe avec quelque légume grossier. Jésus-Christ était le grand modèle qu’il s’efforçait d’imiter sans cesse. Un chrétien, selon lui, et surtout un prêtre et encore plus un pasteur des âmes, devait être une image vivante, et pour la former en lui, il fallait détruire le péché par une continuelle pénitence. Excellente maxime qu’il mit constamment en pratique. Ce digne pasteur ne dormait guère ; il passait en prière la plus grande partie de la nuit, ou reposait, assis sur une chaise de paille. Il se couchait peu, au moins a-t-on souvent remarqué que lorsqu’on venait le chercher pour les malades, il paraissait à l’instant même tout habillé et en état de leur porter aussitôt les secours nécessaires.
L’âge, les fatigues et les austérités causèrent à M. Le Nevé, en 1747, une maladie grave dont il ne put se remettre entièrement ; mais malgré la diminution de ses forces, son zèle ne se ralentit pas, et tout faible qu’il était, il allait encore visiter et consoler ses paroissiens malades et affligés. Des accidents successifs l’avertissant qu’il approchait de sa fin, il voulut recevoir le saint viatique dans son église, en présence de son peuple, auquel il parla de la manière la plus touchante et qu’il fit fondre en larmes. Ses sentiments de pénitence et de componction étaient admirables ; ce fut dans ces saintes dispositions qu’après une pénible agonie il rendit son âme à son Créateur, à l’âge de soixante-seize ans, le 23 novembre 1749, laissant après lui la réputation méritée d’un des plus saints pasteurs de son siècle. Ses obsèques furent remarquables par l’affluence du peuple qui s’y trouva et l’espèce de culte qu’on rendit à ses précieux restes. Son tombeau est encore à Séné l’objet du respect des fidèles.